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France: COVID-19 Biological Risks – What do the Decisions of the Lille Court of Justice Imply?

In the context of the COVID-19 epidemic, several summary orders, issued in April and May by the Lille Court of Justice, forced employers to apply specific regulations linked to biological risk.

What are the consequences of this interpretation and should it be generalised to apply to all companies? Corinne Potier, associate lawyer, and Olivier Mambré, legal counsel, of the firm Flichy Grangé Avocats present their analysis and answers in response to the issue raised.

Below you can read the original article by Flichy Grangé Avocats in French.


 

Quels étaient les employeurs mis en cause dans ces contentieux lillois ?

Le premier employeur qui a été condamné à appliquer la réglementation relative aux risques biologiques dans le contexte du Covid-19 est une association de services d’aide à domicile(T. jud. Lille, réf., 3 avril 2020, nº 20/00380). Le 14 avril 2020, c’est un supermarché qui a été condamné par la même juridiction, mais autrement composée (T. jud. Lille, réf., 14 avril 2020, nº 20/00386). Le 24 avril 2020, même sentence pour un hypermarché(T. jud. Lille, réf., 24 avril 2020, nº 20/00395). Et, enfin, le 5 mai, le Tribunal judiciaire de Lille, dans une affaire concernant une nouvelle fois un supermarché, a considéré « que les salariés de la société CSF sont exposés à un risque spécifique qui ne résulte pas de la substance même de leur activité, mais des circonstances dans lesquelles ils l’exercent actuellement au vu de la crise sanitaire », de sorte que les dispositions du Code du travail relatives à la prévention des risques biologiques avaient vocation à s’appliquer (T. jud. Lille, réf., 5 mai 2020, nº 20/00399).

À ce jour, la jurisprudence lilloise n’a pas été suivie par d’autres juridictions. Ainsi, ni le Tribunal judiciaire de Paris (Ord. réf. La Poste ; v. l’actualité nº 18046 du 21 avril 2020), ni la Cour d’appel de Versailles (Amazon ; v. l’actualité nº 18051 du 28 avril 2020) n’ont fait application de la réglementation relative aux risques biologiques dans le cadre de l’épidémie de coronavirus.

Qu’implique l’application de la réglementation sur la prévention du risque biologique ?

La réglementation relative aux risques biologiques est prévue par les dispositions des articles R. 4421-1 et suivants du Code du travail. Elle met à la charge de l’employeu r des obligations spécifiques portant notamment sur l’évaluation des risques, les mesures de prévention visant à supprimer ou à réduire au minimum les risques d’exposition aux agents biologiques, l’information et la formation des travailleurs ainsi que la mise en œuvre d’une surveillance médicale.

Ces obligations spécifiques viennent s’ajouter aux obligations générales de l’employeur en matière de santé et de sécurité à l’égard des travailleurs.

Sur le plan juridique, quelles questions soulèvent les décisions du Tribunal judiciaire de Lille ?

Les ordonnances rendues par le Tribunal judiciaire de Lille soulèvent plusieurs questions, à commencer par l’application de la réglementation sur les risques biologiques dans le cadre de l’épidémie de Covid-19. Le premier alinéa de l’article R. 4421-1 du Code du travail dispose que « les dispositions du présent titre sont applicables dans les établissements dans lesquels la nature de l’activité peut conduire à exposer les travailleurs à des agents biologiques ». Les termes de cet article interrogent quant à leur interprétation dans le contexte épidémique actuel. Ce texte vise-t-il les établissements dont la nature de l’activité peut habituellement exposer les travailleurs aux agents biologiques ou tous les établissements dont la nature de l’activité peut exposer les travailleurs aux agents biologiques, y compris de façon exceptionnelle ?

Autrement dit, des circonstances exceptionnelles, telle une situation de pandémie et le risque généralisé de contamination à un virus, peuvent-elles rendre applicable à des employeurs, le temps de la crise sanitaire, une réglementation à laquelle ils ne sont habituellement pas assujettis, comme l’affirme le Tribunal judiciaire de Lille dans son ordonnance du 5 mai 2020 ? Notons que cette question peut se poser dans des circonstances autres qu’une pandémie, et notamment, dans une moindre mesure, lors des épisodes de grippe saisonnière (influenza), classée dans le groupe 2 des agents biologiques selon l’arrêté du 18 juillet 1994 fixant la liste des agents pathogènes.

La dernière décision du 5 mai paraît plus modérée ?

Par exception, l’alinéa 2 de l’article R.4421-1 prévoit que « toutefois, les dispositions des articles R. 4424-2, R. 4424-3, R. 4424-7 à R. 4424-10, R. 4425-6 et R. 4425-7 [édictant certaines mesures de prévention concernant les risques biologiques, Ndlr] ne sont pas applicables lorsque l’activité, bien qu’elle puisse conduire à exposer des travailleurs, n’implique pas normalement l’utilisation délibérée d’un agent biologique et que l’évaluation des risques prévue au chapitre III ne met pas en évidence de risque spécifique. » Jusque-là, les juges ont systématiquement refusé de faire application de cette disposition lorsque le document unique d’évaluation des risques de l’entreprise met en évidence un risque spécifique lié au Covid-19.

Cependant, dans son ordonnance du 5 mai 2020, tout en écartant l’exception prévue par cet alinéa 2, le Tribunal judiciaire de Lille a pour la première fois circonscrit aux « activités qui par essence impliquent l’utilisation ou la manipulation d’agent biologique ou leur présence dans le milieu concerné » l’application de certaines dispositions (notamment celles des articles R. 4424-4 et R. 4424-5 du Code du travail) qui relèvent pourtant de la section « dispositions communes à toutes les activités ». Ainsi, le tribunal a considéré que « ces textes-là ne peuvent trouver à s’applique r à une entreprise ayant une activité de commerce, comme la société CSF, qui ne peut dès lors être soumise qu’aux dispositions plus générales du Code du travail relatives à la prévention des risques biologiques ».

Cette solution inédite illustre toutes les difficultés à appréhender et mettre en œuvre, dans le contexte actuel, les dispositions du Code du travail relatives à la prévention des risques biologiques.

Sur le plan pratique, quelles sont les autres difficultés ?

L’article R. 4423-2 du Code du travail prévoit que la mise en œuvre de l’évaluation des risques biologiques doit être effectuée sur le fondement du classement de l’agent biologique auquel le travailleur est exposé et des maladies professionnelles dues à l’exposition aux agents biologiques. En outre, les modalités de mise en œuvre de la surveillance médicale des travailleurs dépendent de la classification de l’agent pathogène auquel ils sont exposés (C. trav., art. R. 4426-7).

Or, à ce jour, le coronavirus responsable du Covid-19 ne figure pas dans la liste réglementaire des agents biologiques pathogènes. À ce titre, il n’est pas classé dans l’un des quatre groupes des agents biologiques définis par le Code du travail en fonction de l’importance du risque d’infection qu’ils présentent (C. trav., art. R. 4421-3). Il ne figure pas non plus dans un tableau de maladies professionnelles. Dans l’attente d’un éventuel ajout du Covid-19 dans la liste réglementaire des agents pathogènes, l’employeur est-il tenu d’appliquer ces dispositions ? Et dans l’affirmative, sur quel classement doit-il se fonder ?

Dans son ordonnance du 5 mai 2020, le Tribunal judiciaire de Lille a jugé que, « quand bien même cette nouvelle forme de virus n’a pas été intégrée dans [l’arrêté du 18 juillet 1994, Ndlr], elle peut à tout le moins être rattachée à la classe 2 comme le sont les autres coronavidae, bien que ce nouveau virus s’apparente, en réalité, en raison de la gravité de la maladie qu’il provoque (au vu de son caractère létal avéré), et en l’état de l’absence de traitement efficace, aux virus de la classe 3 ou 4 tels que le MERS-CoV ou le SRAS-CoV ainsi répertoriés […] ».

La réglementation sur le risque biologique, qui n’a pas été pensée pour faire face aux situations épidémiques, pose des problèmes d’interprétation et d’application dans le contexte du Covid-19. De ce point de vue, les textes généraux du Code du travail et les recommandations émanant des pouvoirs publics, régulièrement mises à jour, ainsi que les guides établis par les organisations professionnelles, apparaissent bien plus adaptés à la situation actuelle.

Le ministère du Travail s’est exprimé sur le sujet. Quelle est sa position ?

Suite à la première ordonnance rendue par le Tribunal judiciaire de Lille, le ministère du Travail a actualisé ses recommandations à destination des employeurs (v. l’actualité nº 18049 du 24 avril 2020), sans cependant lever toutes les interrogations que ne manquent pas de soulever de telles décisions.

Selon le ministère, le Covid-19 doit être considéré comme relevant du groupe 2. Le classement ainsi retenu peut à première vue surprendre dans la mesure où le groupe 2 comprend « les agents biologiques pouvant provoquer une maladie chez l’homme et constituer un danger pour les travailleurs. Leur propagation dans la collectivité est peu probable et il existe généralement une prophylaxie ou un traitement efficace », étant par ailleurs précisé que les coronavirus responsables du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV) et du Syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV) figurent dans le groupe 3 des agents biologiques.

L’explication réside peut-être dans le fait que l’arrêté du 18 juillet 1994 classe les « autres coronavidae » dans le groupe 2. À cet égard, il pourrait être considéré, dans l’attente d’une prochaine révision de l’arrêté, que le SARS-CoV-2, relève, par défaut, de cette catégorie, raisonnement que semble valider le Tribunal judiciaire de Lille dans son ordonnance du 5 mai 2020.

Concrètement, quels sont les travailleurs concernés ?

S’agissant des travailleurs concernés, le ministère du Travail indique « qu’il découle de l’article R. 4421-1 du Code du travail que peuvent être considérés comme exposés au risque biologique :

– les professionnels systématiquement exposés au risque de contamination du virus du fait de la nature de leur activité habituelle (ex : professionnels de santé et de secours) ;

– mais également les travailleurs dont les fonctions les exposent à un risque spécifique quand bien même l’activité de leur entreprise n’impliquerait pas normalement l’utilisation délibérée d’un agent biologique. Cette situation peut notamment concerner les travailleurs des secteurs des soins, de l’aide à domicile ou des services à la personne, dès lors que leurs tâches impliquent des contacts de moins d’un mètre avec des personnes potentiellement contaminées (par exemple, toilette, habillage, nourriture). »

Ainsi, ces précisions suggèrent que le ministère ne souhaite pas généraliser l’application de la réglementation relative au risque biologique dans le cadre du Covid-19, mais qu’il entend plutôt la circonscrire aux activités les plus exposantes. Une clarification sur le sujet serait cependant souhaitable, d’autant que l’analyse des ordonnances de référé rendues par le Tribunal judiciaire de Lille révèle, au sein d’une même juridiction, des positions différentes.

Que recommanderiez-vous aux entreprises ?

Dans l’attente d’une clarification de la part du ministère du Travail et de jurisprudences nouvelles sur le sujet, dès lors qu’il existe un risque spécifique lié au Covid-19 mis en évidence dans le DUER, la prudence oblige à recommander aux employeurs – a minima pour les activités visées par le ministère du Travail sur son site internet – d’appliquer la réglementation spécifique liée aux risques biologiques. Cette recommandation semble devoir également s’imposer pour les établissements recevant du public, compte tenu d’un risque de contamination au Covid-19 majoré.

 


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